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Data, personnalités, ADN : demain, devenir son propre patrimoine ?

Alors qu’aujourd’hui tout se mesure, se trace et se conserve, nos comportements et nos parcours de vie acquièrent une immense valeur économique. Si les grandes entreprises du numérique et de la high-tech fondent leurs activités sur ce savoir, pourquoi l’individu ne pourrait-il pas se réapproprier ce capital - et devenir son propre patrimoine ?

Notre état civil est conservé sur des registres étatiques, notre argent et nos données financières sont confiés aux banques, et les données relatives à nos usages en ligne sont récoltées (et utilisées à des fins commerciales) par les géants du Web. Avec un décalage notoire. « Il y a seulement dix ans, les entreprises les plus puissantes du monde étaient des compagnies pétrolières et des banques. Maintenant, ce sont celles qui détiennent nos données. La valorisation boursière des GAFA représente environ 2000 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la France », note Loïc Bardon, en charge de la transformation numérique chez Wavestone et cofondateur du thinktank de prospective Paris Singularity. Dans cette évolution, les données de toutes natures sont conservées dans des silos incompatibles entre eux, et l’usager n’a pas vraiment son mot à dire. Mais les temps changent.

Mes données, mon patrimoine ?

État civil, relations familiales et sociales, trajets quotidiens, préférences vestimentaires et opinions politiques, etc. : nous donnons aujourd’hui toutes ces informations personnelles à de grands acteurs de l’économie numérique, qui excellent à les transformer en valeur économique. Et si, plutôt que de livrer gratuitement ces données en consentant à leur usage, chacun de nous pouvait en tirer profit, en les vendant ? Le simple fait d’exister numériquement nous permettrait ainsi de nous bâtir un « patrimoine de data ».
Cette proposition de patrimonialisation des données personnelles resurgit régulièrement. En France et en Europe, elle se heurte pourtant à un principe juridique et philosophique majeur. Pas plus que notre corps, nos données personnelles ne sont en effet notre « propriété » : elles sont de véritables extensions de notre personne, que l’on ne peut vendre. En cela, la vieille Europe s’oppose aux États-Unis, où la vie privée est considérée comme une propriété et non un droit de la personne.
De plus, nos données à elles seules, isolées et non traitées, ne valent finalement pas grand-chose : quelques euros tout au plus. C’est quand elles sont reliées à beaucoup d’autres données qu’elles prennent de la valeur. Par nature même, les données personnelles d’un individu en concernent souvent d’autres qu’elles permettent  : ses « amis » Facebook, ceux avec qui on se localise dans un café avec notre smartphone, etc.  » des données personnelles, souvent fondées sur des blockchains et des cryptomonnaies. Enigma, une entreprise marocaine prometteuse, entend ainsi créer une plateforme où « les utilisateurs peuvent collectivement et indépendamment monétiser leurs données tout en les gardant privées ». L’initiative de la start-up américaine Doc.ai s’attaque, elle, aux données médicales. « Vos données médicales vous appartiennent, elles ont une valeur et vous pouvez réclamer cette valeur », explique l’entreprise, dont la plateforme utilise blockchains et intelligence artificielle pour gérer de vastes flux de données, que l’utilisateur peut choisir de « partager, vendre ou donner à qui il le souhaite, quand il le souhaite ». D’autres projets, comme le projet français MesInfos, s’attachent moins à la monétisation qu’au contrôle par l’individu (ou le collectif) des usages qui sont faits de ses données. Si leur valeur économique reste faible, nos données ont donc quelque chose d’un patrimoine à la fois personnel et collectif, qu’il deviendra de plus en plus important de gérer et de protéger.

Votre ADN a-t-il de la valeur ?

Les informations génétiques sont parmi les plus sensibles des données personnelles. Pourrait-on imaginer les vendre ? Ici encore, une opposition philosophique fondamentale oppose l’Europe et les États-Unis. Plusieurs projets plus ou moins avancés ont vu le jour récemment sur le continent américain : Zenome, Luna DNA ou DNA Simple promettent tous de rémunérer les citoyens qui fournissent spontanément (ou à la demande) des échantillons de leur ADN. Pour Luna, fondée par d’anciens responsables d’Illumina, entreprise pionnière des biotechnologies et du séquençage ADN, il s’agit de créer « une base de données possédée par la communauté et récompensant les individus qui partagent leur ADN ». « Les chercheurs paient pour accéder à la base de données, et les dividendes sont reversés à la communauté », explique-t-on. DNA Simple va plus loin, en promettant « 50 $ à  ». En Europe, l’état du droit rend encore impossibles de telles initiatives, qui seraient sans doute aussi mal acceptées par les sociétés — même si des voix s’élèvent en faveur de la liberté individuelle de décoder son génome et d’en tirer un bénéfice.
Comme pour les autres données personnelles cependant, la valeur de l’ADN réside beaucoup plus dans son usage que dans son échange. Seuls les moins favorisés pourraient consentir à commercialiser leurs informations génétiques contre quelques dizaines d’euros ou de dollars — créant ainsi un risque d’inégalité avec les personnes les plus aisées, qui préserveraient leur intimité. Avec les progrès de la génétique et la possibilité prochainement d’optimiser son ADN pour renforcer des prédispositions favorables (taille, immunité à des maladies, etc.), les plus aisés pourraient en revanche voir un intérêt à tirer profit de leur patrimoine génétique amélioré. Verra-t-on apparaître des banques d’ADN calquées sur le modèle des banques de sperme, abritant les biens précieux que sont les brins d’ADN de toute la famille ?

Connectome, ergo sum

Et si notre personnalité devenait notre premier patrimoine ? Une partie de la communauté scientifique estime que tout ce qui compose un individu — sa personnalité, ses émotions, ses souvenirs — est stocké de façon quantifiable dans son cerveau : le « connectome », c’est-à-dire l’ensemble des connexions neuronales d’un cerveau, pourrait suffire à décrire l’intégralité d’une personne en tant qu’être conscient. Si la question fait l’objet d’un débat, la thèse est à l’origine du principe de cryogénisation. Chez Alcor, entreprise américaine fondée en 1972, quelque cent cinquante-six « patients » sont maintenus à très basse température dans un bain d’azote liquide après leur décès, dans la perspective d’être un jour « ramenés à la vie ». En mars 2018, l’entreprise de recherche 21st Century Medicine s’est vu attribuer un prix par la Brain Preservation Foundation, une fondation visant à récompenser les travaux scientifiques sur la préservation du cerveau post mortem. Pour la toute première fois a été démontrée une technique préservant l’intégralité structurelle du cerveau d’un porc, dans ses plus fins détails (y compris les connexions synaptiques entre les neurones). Une étape jugée majeure par les cryogénistes, s’approchant un peu plus de la pleine conservation d’un connectome humain, pour peut-être un jour pouvoir le décoder, voire le transposer dans un ordinateur ou un robot.
Qu’il soit lu par des capteurs et des machines, ou susceptible d’être conservé après notre mort, notre connectome a de la valeur. Et se posera immanquablement la question de savoir à qui appartiennent les informations informelles définissant et caractérisant une personne. Pourrait-on un jour léguer son connectome ?

Ouvrir son capital personnel

Si tout cela peut paraître lointain, l’idée pour les individus de faire fructifier un patrimoine devenu intrinsèquement lié à leur personne fait son chemin. Les individus ne pourraient – ils pas, un jour, « ouvrir leur capital » ? En 2008, Mike Merrill, jeune employé d’une entreprise de logiciel, avait été le premier à vendre des « actions de lui-même » : via un dispositif similaire à celui d’une introduction en Bourse, il mettait en vente cent mille parts, accordant un droit de vote sur toutes les décisions relatives à sa vie, professionnelle ou personnelle. Aussi controversée que médiatisée, l’expérience n’en est pas moins fascinante. Dix ans après, le dispositif existe toujours : les quelque sept cent cinquante actionnaires votent en permanence, décidant si Merrill doit accepter telle ou telle interview, apprendre à faire du ski, s’abonner  — d’un individu devenu instrument financier. La démarche est extrême, mais l’avènement des cryptomonnaies pourrait faciliter l’ouverture du « capital économique » des individus : certaines personnes à l’avenir particulièrement brillant pourraient ainsi émettre leurs propres actions, voire leur propre monnaie. Gert-Jan Van Rooyen, directeur du MIH Lab de l’université sud-africaine de Stellenbosch, affirme ainsi : « Une monnaie personnelle constituerait une manière plus structurée d’investir dans les individus », par opposition aux bourses et autres prêts étudiants, peu satisfaisants ni pour les sponsors (peu de retours sur investissement), ni pour les étudiants (devant souvent travailler plusieurs années pour rembourser leurs prêts). « Ne serait-il pas plus utile que des investisseurs puissent acquérir des parts de la future carrière d’un étudiant ? » questionnait-il. Quelques précurseurs, à la carrière déjà mûre, s’engagent aujourd’hui dans cette voie. En 2018, le prospectiviste et auteur de best-sellers Mark Pesce lance ainsi sa monnaie, sous la forme d’un token (actif numérique). Tout possesseur d’un MPT (Mark Pesce Token), d’une valeur initiale de 125 $, peut l’échanger contre quinze minutes du temps de Mark Pesce, dévolu à du conseil, de la rédaction ou à une discussion avec l’expert. Si l’on admet que les individus, de par leur biologie, leurs cerveaux, leur réputation, leurs carrières ou leur temps d’attention, sont (aussi) des actifs financiers, et que cryptomonnaies et tokens permettent de facilement quantifier, véhiculer et échanger cette valeur, on comprend que la notion de « patrimoine incarné par la personne » pourrait bientôt prendre tout son sens.

Rédaction achevée en 2018 dans le cadre du magazine hors-série sur le futur du patrimoine réalisé avec Usbek & Rica.

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