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Le patrimoine pour tous

Et si le patrimoine n’était pas uniquement un héritage qu’on sauvegarde pour les générations futures ? Et si le véritable enjeu d’avenir était d’apprendre à élaborer collectivement un patrimoine commun, et le partager avec les intelligences artificielles et la nature ?

Revenu universel : rendre le patrimoine commun et immatériel

Depuis les années 1980, les inégalités de revenus ont augmenté dans les pays de l’OCDE : en 2012, le revenu moyen des 10 % les plus riches de la population était près de dix fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres, là où le rapport était de sept à un dans les années 1980. Fin 2016, l’OCDE rapportait que « la répartition du patrimoine net des ménages est encore plus inégalitaire que celle du revenu », les 40 % les plus pauvres détenant seulement 3 % du patrimoine total, et les 10 % les plus riches près de la moitié. Face à ces déséquilibres qui se creusent, on entend de plus en plus parler du revenu universel, qui permettrait d’endiguer le retour d’une grande pauvreté dans les pays dits riches, causée entre autres par l’automatisation. L’idée transcende les frontières politiques : en France, elle a bien sûr été portée par Benoît Hamon, mais aussi par Dominique de Villepin et Christine Boutin en leur temps. Aux États-Unis, elle compte parmi ses adeptes Bernie Sanders aussi bien que les millionnaires de la Silicon Valley comme Mark Zuckerberg (créateur de Facebook) ou Elon Musk (PDG de l’entreprise américaine d’aéronautique SpaceX et de Tesla, constructeur de voitures autonomes). Et en avril 2018, le futurologue et ancien directeur du développement de Google, Ray Kurzweil, l’a présenté dans la revue Business Insider comme rien de moins qu’une fatalité : « Au début des années 2030, nous aurons le revenu de base universel dans le monde développé, et dans le monde entier d’ici la fin des années 2030. On pourra vivre très bien de ça. Nos préoccupations principales ne consisteront plus qu’à donner un sens et un but à notre vie. »
En effet, le revenu universel garantirait une vraie égalité des chances et une sortie définitive de la pauvreté. Mais il aurait un autre effet, encore plus profond : en décorrélant le revenu du travail, il ouvrirait une ère dans  — massivement effectué par des machines —, mais de leurs contributions intellectuelles, artistiques, philanthropiques, à cette société. Notre conception du patrimoine s’en verrait chamboulée. D’une part, parce que nous serions bien plus nombreux à participer à l’élaboration de ce patrimoine immatériel commun, ce qui en changerait forcément les contenus aussi bien que les formes. D’autre part, parce que le revenu universel nous poserait une question fondamentale : à quoi tenons-nous quand notre avenir et celui des générations futures sont assurés ? Que cherche-t-on alors à protéger et à transmettre ?

Le patrimoine pour protéger les « nouvelles personnes »

Si le patrimoine devient une notion plus collective qu’individuelle, plus immatérielle que financière, il pourrait ensuite s’étendre à de « nouvelles personnes », comme les robots et les animaux : les doter d’un patrimoine permettrait de garantir des droits à ces entités. Il y a d’abord la question du droit des robots, qui se pose de façon pressante. Le 18 mars 2018, une voiture autonome Uber a percuté et tué une femme en Arizona ; début mai, on apprenait que la voiture avait vu la femme et décidé qu’il n’était pas nécessaire de réagir. À partir de quel moment considère-t-on qu’une intelligence artificielle est consciente des conséquences de ses actes ? Une chose est certaine : la question de la responsabilité des robots ne pourra pas longtemps être décorrélée de celle de leurs droits. Ray Kurzweil (encore lui) estime que, dans les années 2030, l’intelligence artificielle passera le test de Turing, c’est-à- dire qu’intelligences humaine et artificielle deviendront indiscernables. Il faudra alors peut-être garantir à l’IA ses droits à la propriété intellectuelle et lui reconnaître une dignité. Une personnalité juridique lui permettrait de faire valoir ces droits et d’être à la tête d’un patrimoine propre. L’autre question cruciale, c’est celle de la protection du vivant, que l’on traite comme une simple ressource. Le statut juridique des animaux évolue : de « biens meubles », ils sont devenus en 2015 des « êtres vivants doués de sensibilité ». Mais face aux menaces environnementales comme à la question du bien-être animal, il deviendra un jour inévitable de faire des êtres de nature au sens large (animaux, plantes, océans, écosystèmes) des sujets de droit, dotés d’un patrimoine dont la loi garantit la protection. Le philosophe et sociologue Bruno Latour n’en est pas très éloigné quand il appelle à constituer un « Parlement des choses ». Encore faudra-t-il que leurs représentants humains sachent gérer et défendre ce capital qui appartient à d’autres. Car au fond, l’idée de patrimoine pour tous remet en question la capacité de l’espèce humaine à protéger les ressources qui l’entourent et qu’elle exploite. Elle implique de repenser une vision du monde fondée sur la domination, dans laquelle certains humains sont au service des autres et tout ce qui est non humain peut et doit être mis au nôtre. Le patrimoine pour tous, c’est la sortie d’un modèle de développement dans lequel l’homme est un loup pour l’homme — et pour ceux qui l’entourent.

Rédaction achevée en 2018 dans le cadre du magazine hors-série sur le futur du patrimoine réalisé avec Usbek & Rica.

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